Chaque une image cache une belle histoire... 
Dans un recoin de mon sac à dos, entre une lampe frontale et un bout de ficelle, se cachent un petit carnet et un stylo. Lors de mes nombreux bivouacs et sorties en montagne, j'y griffonne quelques anecdotes. Et si la majorité d'entre elles n'ont que peu d'intérêt, certaines méritent d'être racontées.
- Un réveil parmi les tétras lyre -
5h15 - Il fait encore nuit noire. Nous sommes fin avril et je suis bien au chaud dans mon duvet, malgré les basses températures à 1800 m d’altitude. Un chant étrange mais familier me tire de mon sommeil. Un roucoulement grave parfois entrecoupé de brefs chuintements. Ce chant est celui d’un oiseau aussi merveilleux qu’intrigant : le tétras lyre.

Enregistrement du chant des tétras lyre.

5h30 - Il s’agit déjà de ma quatrième nuit de suite sur ce secteur. Après quelques repérages matinaux, j’ai installé ma tente-affût la veille sur un léger replat encore enneigé au dessus de la limite de la forêt. Cela me permet d’y passer la nuit pour être prêt à photographier les tétras lyre dès les premières lueurs du jour. En effet, à cette période de l’année, les mâles (ou coqs de bruyère) montent chaque jour au petit matin pour parader sur des places de chant bien définies en espérant se faire remarquer par les femelles.

Tente-affût Tragopan V6 installée face à la place de chant.

6h - Le versant est encore plongé dans la pénombre. Depuis la tente, en regardant par l’interstice de l’ouverture d’où dépasse mon appareil photo, j’aperçois la silhouette d’un tétras posé sur la place de chant à une trentaine de mètres de moi. Il se détache en ombre chinoise sur un fond de neige dans un décor bleu nuit. Hier à la même heure, deux coqs se défiaient devant la tente. Ils ont fini par se prendre le bec et se voler dans les plumes. J’ai eu juste le temps de filmer quelques secondes cet affrontement avant qu’ils ne se séparent pour aller donner de la voix un peu plus loin.

Combat de coqs, vidéo brute avec en fond le bruit de la stabilisation de l’objectif.

7h - Les notes de ces chanteurs printaniers se font toujours entendre sur le versant. J’observe la chorégraphie fascinante à laquelle se livre le tétras toujours posé devant ma tente-affût. Les plumes de la queue déployées en forme de lyre, il se penche en avant pour roucouler. Régulièrement, il se redresse brusquement en émettant un chuintement plus aigu et en écartant ses ailes. Alors, il prend un instant pour regarder ses concurrents sur le versant puis il se relance dans son chant guttural. À petits pas, il se tourne dans une autre direction et poursuit ce manège incessant.

7h30 - Le chant des tétras s’estompe doucement. Un à un les coqs arrêtent leurs parades et referment leur lyre. Ils restent de longues minutes en boule, à observer ce qui se passe autour d’eux puis dans un dernier cri, chacun finit par regagner la sécurité de la forêt pour y passer la journée, se nourrir et se reposer.
Fatigué par les réveils précoces de mon séjour parmi les tétras lyre, je m’allonge pour retrouver le confort de mon duvet. Je finis par m’endormir alors que dans ma tête, tournent en boucle les images de ce coq sombre dans un décor de neige immaculée…
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- Une souille et des cerfs -
L’automne, saison des couleurs et du brame du cerf. Une période sensible, primordiale à la conception d'une nouvelle génération, où il faut se faire discret pour observer ce spectacle sans dérangement.
À la mi septembre, je pose un piège photo braqué sur une belle souille repérée à la fin de l’été. Il me sert à surveiller l’activité de cet endroit stratégique sans être sur place. C'est ici que les cerfs viennent marquer leur territoire et prendre des bains de boue.
Je remonte relever le piège à la fin du mois, le brame a déjà commencé et je devrais pouvoir identifier certaines habitudes des animaux. Plus de 900 vidéos, la carte SD est pleine depuis quelques jours. En m’attardant uniquement sur les heures de déclenchements, je note une activité régulière en début et fin de journée. Au moins 5 ou 6 cerfs différents sont présents dans le secteur pour se disputer la harde de biches.

Extraits des vidéos du piège photo installé sur la souille.

Pour ne pas être trop proche de la souille dans cet environnement fermé tout en restant à hauteur, j'opte pour un affût perché dans bel un épicéa couvert de lichens. Assis sur une branche très peu confortable, j'y passe la soirée et la matinée suivante. Malgré ma patience, je ne fais aucune observation. J’entends en contrebas les raires des cerfs mais aucun animal ne se montre à la souille. Je doute. Suis-je trop proche ? Mal placé ? En fin de matinée, quand la forêt retrouve son calme, je quitte l’affût en laissant le piège.​​​​​​​

Mon affût perché, derrière un filet de camouflage.

Une semaine plus tard, de retour dans le secteur je me décide à tenter de nouveau ma chance à la souille. Le piège photo, récupéré la veille, montre des passages de cerfs et de biches à des horaires plus irréguliers et souvent en pleine journée. Cela pourrait expliquer l'échec de mon dernier affût. 
Tôt le matin, je m’installe dans le même arbre que la dernière fois. J’entends cette fois aussi les cerfs bramer plus bas. Depuis la veille, la pluie ne s’arrête pas et les nappes de brouillard se succèdent. Je suis confiant, j’aime bien ces conditions plus exigeantes. Les gouttes de pluie et les feuilles de bouleaux jaunies par l'automne donnent du caractère à ma composition, il ne manque que le sujet…
Soudain un raire retentit juste à côté. Un beau cerf arrive à la souille par la droite. Il ne reste que quelques instants, brame une nouvelle fois puis repart. J’ai juste eu le temps de faire une série d’images. Déjà content, je patiente en espérant qu’il repasse.
Composition et images du premier passage.
À peine dix minutes plus tard, alors que la pluie s’intensifie, le cerf revient d’en face. Il avance droit dans ma direction et brame à plein poumons. Je n’aurais pu espérer mieux ! Je déclenche plusieurs fois, couvert par le bruit de la pluie. Lui ne tarde pas à disparaître à nouveau, sûrement à la poursuite d’une biche. Une fois  certain qu’il s’est éloigné, je regarde mes photos. Figé en plein mouvement, le cerf se tient au centre de l’image et brame vers mon objectif. Même le poil trempé par la pluie et les pattes dans la boue, on perçoit cette puissance pure et sauvage qu’il dégage. Une rencontre brève mais intense qui met fin à une semaine de sorties sans image.
L'image de cette matinée pluvieuse, symbole parfait du brame.
J’attends encore une heure de plus sous une pluie froide avant de me décider à rentrer. Trempé et grelottant, je descends le plus discrètement possible de l’épicéa, je range rapidement mes affaires, jette mon sac sur mon dos et m’éloigne, un petit sourire de joie au coin des lèvres…
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